Les élèves de la promotion 2025-2026 des conservateurs du patrimoine ont décidé d'adopter le nom de "Rosa Bonheur".
Remise à l’honneur au cours de la dernière décennie, Rosa Bonheur (1822-1899) s’impose comme une figure marquante de l’art et de la société civile en France. Son œuvre atypique et sa personnalité résonnent encore aujourd’hui.
Modèle d’émancipation féminine et plus largement individuelle, Rosa Bonheur a su concilier l’exigence de son art et ses engagements personnels sans compromis. Issue d’un milieu modeste, destinée à devenir couturière, elle s’affranchit des codes de son époque pour devenir une artiste engagée, déterminée à faire évoluer la société dans une quête résolue d’égalité. En choisissant de traiter des sujets considérés jusqu'alors comme mineurs, elle offre une visibilité inédite à la nature et aux animaux. Pionnière dans son approche, elle utilise les vastes formats traditionnellement réservés à la peinture d’histoire pour représenter avec majesté des animaux sauvages ou domestiqués, mais aussi des scènes saisissantes de la dureté du monde rural et agricole. De ses voyages d’étude à travers la France, elle développe un attachement particulier pour l’Auvergne qu’elle peint à de nombreuses reprises.
Elle s’appuie également sur les techniques novatrices de la photographie, disposant même de son propre laboratoire, afin de retranscrire la réalité avec la plus grande précision. De ces expériences naissent ses compositions les plus célèbres, comme Le Marché aux chevaux ou La Fenaison en Auvergne, qui lui vaut, pour la seconde fois, une médaille d'or au Salon de 1848.
Grâce à la vente de ses tableaux, elle peut - fait rare pour une femme au XIXe siècle en France - acquérir un bien immobilier d’exception qui lui permet de s’éloigner des mondanités parisiennes. En privé, elle s’affranchit des convenances de son époque et partage sa vie pendant cinquante ans avec Nathalie Micas. Animée par un esprit de solidarité, elle dirige l’École gratuite de dessin pour demoiselles de 1849 à 1860, offrant ainsi à de nombreuses jeunes femmes la possibilité d’envisager un avenir artistique. Si Rosa Bonheur marque ses contemporains par son indépendance, elle n’est cependant pas subversive : respectueuse des lois, elle sollicite les autorisations nécessaires pour porter le pantalon, indispensable pour monter à cheval et accéder aux lieux où elle puise son inspiration, tels que les abattoirs et les foires aux animaux, alors réservés aux hommes.
Son talent et son audace lui permettent d’accéder à une renommée exceptionnelle, faisant d’elle l’artiste femme la plus célèbre de sa génération, en France comme à l’étranger, notamment aux États-Unis, où elle demeure une véritable icône. En témoignage de cette reconnaissance, elle reçoit des mains de l’Impératrice Eugénie la Légion d’Honneur, un honneur rare pour une femme à son époque.
Très attachée à la préservation du patrimoine et à la protection de la nature, elle acquiert en 1859 le château de By (Seine-et-Marne), qu’elle fait restaurer et aménager avec soin. Sensible aux questions environnementales, elle signe la pétition de Denecourt en faveur de la sauvegarde de la forêt de Fontainebleau, écosystème essentiel à la faune qu’elle peint. Dans le même esprit, elle soutient dès sa création en 1845 la Société protectrice des animaux. Curieuse et ouverte sur le monde, elle s’intéresse également aux cultures autochtones, en particulier aux peuples d’Amérique du Nord, qu’elle représente dans ses tableaux.
Ses œuvres ont fait l’objet d’un travail photographique minutieux mené par sa dernière compagne et légataire universelle, Anna Klumpke. Cette dernière s’est attachée à perpétuer la mémoire de Rosa Bonheur, à préserver ses archives et à sauvegarder son atelier, constituant un véritable matrimoine. Aujourd’hui, le château de By est labellisé « Maisons des Illustres » et inscrit depuis 2023 au “Patrimoine d’intérêt régional” par la région Île-de-France.
Choisir le nom de « Rosa Bonheur » pour cette promotion est donc un signe fort. Loin de l’image désuète de la « dame qui peint des animaux », ce nom évocateur fédère les conservatrices et les conservateurs autour de valeurs puissantes : liberté, égalité, solidarité et intégrité. Chacune et chacun peut également trouver dans son œuvre un écho à son propre engagement, son statut ou sa spécialité. Longtemps effacée de l’historiographie, Rosa Bonheur bénéficie ces dernières années d’un grand élan de valorisation patrimoniale, rendu possible par la conservation d’archives publiques et privées. Ses sujets et ses prises de position en faveur de la défense du vivant, de l’environnement ainsi que des traditions culturelles et autochtones font écho aux préoccupations contemporaines en matière de patrimoine, qu’il soit artistique, scientifique, technique, naturel ou immatériel.
Incarnation de la femme moderne, Rosa Bonheur est une artiste libre et visionnaire, dont le talent et les convictions continuent d’inspirer. L’héritage de cette personnalité exceptionnelle constitue dès lors une source précieuse de réflexion et d’inspiration, guidant notre promotion dans la conservation et la transmission du patrimoine avec ambition, engagement et détermination.
Argumentaire de nom de promotion des conservateurs, INP-INET 2025-26, Rosa Bonheur